^{En terrain humide, à nouveau néerlandais, né du delta, 
  ce matériau fluide, volatile, charrié et déposé par le courant, 
d’une zone critique à une autre, les carnets dans les deltas du Rhône et de la Durance
sont de couches sédimentaires mêlées les unes aux autres. 
Notes, réflexions, photographies, videos dessinent le travail du delta :
deltawerken en néerlandais.}

En terrain humide,  je me sens à nouveau néerlandais, né du delta. Je redeviens ce matériau fluide, volatile, charrié et déposépar le courant. D’une zone critique à une autre, mes carnets dans les deltas du Rhône et de la Durance sont autant de couches sédimentaires fines intimement mêlées les unes aux autres. Notes, réflexions, photographies, videos dessinent un seul et même écosystème. J'accomplis moi aussi à ma manière le travail du delta :  deltawerkenen en néerlandais.


TROIS MOUVEMENTS

                  Les premières sorties (tempo lent)
                             I.   LA ZONE HUMIDE
                             II.   L’HABABITAT - Acte I ‘LA NOYADE’
                            III.   LE NID
                            IV.   LE GARDIEN Au centre

                                     (section rapide)
                             V.   LE PORT - à la conjonction des deltas

                            Vers la fin (revenir au tempo lent)
                            VI.   L’HABITAT - Acte II ‘LA DERNIÈRE’
                                      
                            VII.   L’OUTIL
                            VIII.   LA LUTTE

II.  L’HABITAT - ACTE I ‘LA NOYADE’

#5 Dans la vallée humide
La Camargue est emblème de la nature et de la culture du territoire. Encadrée par les Alpilles, les massifs marseillais, les costières nîmoises, la Camargue, est autant une vallée qu'une zone humide. Au sortir de l’oasis du Marais du Vigueirat, elle rencontre brusquement la plaine de la Crau, née de la Durance, dernière steppe aride d’Europe. Mais l'humidité ne disparait qu'en apparence. L’ensemble de la vallée forme, d'après les espèces indicatives, une majestueuse zone humide sans nom. 


#6 Deltaniens, sommes-nous ?
L’été à Arles est accablant, point de bascule du réchauffement de l’Europe. Imaginez ma désillusion qu’il soit interdit de se baigner dans le Rhône à cause des fortes pollutions fluviales mêlées aux dangereux courants canalisés par les endiguements. Les digues elles-mêmes, toutes neuves, sont devenues interdites d’accès. Qui se sent encore ‘deltanien’ ici ? Une dénomination qui n’existe pas encore.


#7 Des mêmes espèces
En marchant avec l’ornithologue du territoire Thomas Galewski, je constate que les oiseaux migratoires sont les mêmes que dans le delta des Pays-Bas. Les différents deltas du monde hébergent une similitude d’espèces, d’espaces et de réseaux. Animaux et plantes, migratoires ou non, invasives ou non, s'accordent à ce plat pays d’origine. Je réalise aussi que nous avons peu conscience de notre habitat.


#8 Des mêmes espaces 
Vus des satellites, les deltas se présentent comme une courtepointe de triangles, de carrés, de zonages, empilés couche après couche : agriculture intensive, industries pétrochimiques, ports de commerce, bases militaires, centres logistiques, parcs et réserves naturelles et un mélange de plages sauvages et touristiques. Sans oublier les cités qui règnent, ou ont régnées sur le monde, proches du naufrage.


#9 Pris dans le filet
Pour les réseaux construits (pétrochimie, gaz, eau [1], électricité, infrastructures hydrauliques), le delta a le talent particulier de se confondre avec son maillage. Comme un état précoce de l’écosystème ; ces réseaux pullulent, sous et hors sol, jusque dans la mer. Ils ressemblent involontairement aux nervures des feuilles, aux racines des canopées, à des poumons de corps cybernétique, aux airs dépassés, poussés dans les courants du delta.

Rendering rouge, source : Reserves naturelles de France. Rendering noir : Militaro-industriel, source TM ‘20.

III. LE NID

#10 Le nid du sauvage
À travers les images satellites, j’observe comment les courants deltaïques rentrent en collision, avec une telle force que les trajectoires restent visibles au fond de la mer. Comme les récifs coralliens, les deltas sont des organes fragiles et vitaux. Ce sont les endroits les plus productifs en biomasse de la planète. Je crois qu’on a peu conscience de ces ‘forêts tropiques’ ; l’homme ayant construit les plus grands ports sur ces deltas.


#11 Triangle au carré
Si la partie terrestre d'un delta est triangulaire - comme le delta ‘fossile’ de la Durance - celui de Camargue s'est progressivement enfoncé dans la mer Méditerranée. Il est dit lobée. Si l'on ajoute au prodelta, la partie immergée qui forme un deuxième triangle de sédiments sur le fond marin, on obtient un carré parfait.


#12 Où naissent les produits
Le port est la première escale de tout ce qui deviendra artificiel et raffiné. Ici transitent nos ressources et achats digitaux. À l'heure des engagement écologiques post-COP21, on y construit le plus grand hub logistique de la Méditerranée sur les dernières zones humides et sur la dernière steppe aride de notre continent. Et en plein confinement, ces réseaux considérés comme primordiaux restent actifs 24/7.



IV. LE GARDIEN

#13 On n’y habite plus là
Difficile de trouver la terre primaire du delta. Chercheurs et gardiens me conduisent à l'étang de Vaccarès au centre de la Camargue. Ils profitent du lever du soleil pour compter les espèces. Hormis un pâturage ancestral et le manque actuel d’apport fluvial, la zone est proche de l’état primaire du delta. Mais elle est interdite d’accès, à l'état de réserves ou de domaine privé. Même les chercheurs n’y résident plus.


#14 Les réserves fermées
Malgré tout, cet espace étendu fait de rouges et de verts, avec les massifs au loin, me transporte vers les plateaux et savanes de Tanzanie. L’Ornithologue me regarde surpris, puis il me répond « oui, c’est surprenant comment on ne réalise plus à quel point nos paysages peuvent ressembler à ce qu’on attend de lointain. »


#15 Seules les espèces.
Un tiers des espèces inféodées sont menacées d’extinction [1]. Mais peu d’espèces sont éteintes dans la zone humide. Les populations ont été divisées par deux depuis 1960, hors les espèces invasives encouragées par les monocultures. Je comprends donc que les espèces menacées ne quittent pas facilement leurs habitats malgré la pollution.